11 février 2015

Promenade forestière

Après Les Misérables et son succès critique mitigé, on pouvait penser que les studios réfléchiraient à deux fois avant de nous proposer une comédie musicale. Que nenni. Alors voici Into the Woods, promenons nous dans les bois, réalisé par Rob Marshall pour Disney, où les histoires de Cendrillon, Raiponce, le Petit Chaperon Rouge et autres héros de contes de fées se voient revisitées et s'entremêlent  à celles d'inconnus (le boulanger et sa femme) pour deux heures de chansonnettes. 

Dès la sortie de salle se pose une question problématique : le spectateur est-il censé rire autant ? On l'espère. Car oui, si l'on regarde le film au trentième degré, il est fort sympathique, poussant à outrance les codes du genre. Mais, s'il était censé avoir une visée moqueuse (voire parodique), pourquoi ne pas être allé jusqu'au bout, au lieu de jongler entre différents tons ? (Me vient à l'esprit Galavant, nouvelle série qui est, pour le coup, vraiment parodique et qui s'assume). Au final, on ne sait plus trop sur quel pied danser : le film se prend-il au sérieux ou non ? Prenons par exemple le loup, incarné par Johnny Depp, qui est partout dans la promo alors qu'il n'apparaît pas tant que cela dans le film et qui est tout simplement risible. Bien entendu, c'est le but. Enfin il faut l'espérer, parce qu'avec un costume comme ça, on ne voit pas d'autres options ou alors ils étaient vraiment justes dans leur budget. 

Une fois passée cette question (pour laquelle je laisse à chacun le droit de se faire sa propre idée), et qu'importe la réponse, le film reste tout de même encore très étrange, mais pas désagréable, au fond. On pourrait surtout regretter sa longueur, surtout quand on sait que tout est chanté, avec beaucoup de moments qui s'étiraient inutilement. 

Le fil rouge que constitue le bois est très bien trouvé et donne un vrai sens au film. Cependant, et c'est ce qui rend le film long, comme nous l'avons dit ci-dessus, les nombreux personnages amènent un trop plein d'histoires différentes, dont certaines ne seront même pas exploitées jusqu'au bout, avec des rebondissements qui ne servent qu'à tirer sur la corde et à allonger la bande-son. Bref, un scénario risqué qui menaçait de faire tomber Mère-Grand dans les orties à chaque instant. 

La relecture des contes reste néanmoins très intéressante et le film nous offre une belle réflexion sur ces histoires que l'on croit connaître (via, la plupart du temps, les dessins-animés Disney, d'ailleurs...). ENFIN, les contes ont droit à une version un peu plus subversive et cruelles pour certains (eh oui, les vilaines sœurs de Cendrillon se font bien couper les orteils afin de chausser la précieuse pantoufle). D'ailleurs, le happy end mitigé du film fait du bien (oui, parce qu'on en a marre que les choses finissent bien, c'est d'un barbant), surtout qu'on en retrouvera un avec le prochain Cendrillon (réalisé par Kenneth Branagh avec Richard Madden et Lily James, qui sortira en mars). 

Bref, le bilan est aussi divisé que les cheveux de Cruella. Into the Woods reste tout de même sympathique à voir une fois, pour rigoler un peu. Son esthétique est belle, et il permet de (re)découvrir le talent de chanteuse de Meryl Streep et d'observer l'envol de James Corden, grande révélation du film. Mais la visée en est trop brouillonne pour permettre un avis tranché : sérieux ou pas sérieux ? 

5 février 2015

Monstres, machines et héros


The Imitation Game, donné favori des Oscars depuis son passage remarqué au festival de Toronto, est un biopic retraçant l'histoire du père de l'intelligence artificielle, Alan Turing (Benedict Cumberbatch), génie homosexuel qui permit aux Alliés de décoder la machine nazie Enigma, et  de ce fait la victoire du bien sur le mal. Un travail pour lequel il ne sera jamais remercié de son vivant.

Le film reprend donc des thèmes auxquels nous sommes habitués, et un thème d'actualité : l'intelligence artificielle. On retiendra particulièrement la scène d'interrogatoire de Turing, qui met en avant le problème posé par le qualificatif qu'on pourrait employer pour décrire la machine qu'à construit le génie anglais, et qui peut s'appliquer à lui-même : "Am I a machine ? Am I a war hero ? Am I a criminal ?"

De même, le personnage joué par Keira Knightley permet autant d'amener une dimension féministe au film que de rendre Alan Turing plus humain, à nous en émouvoir jusqu'aux larmes (la scène de fin m'a été fatale). Et si l'actrice joue comme elle en a l'habitude, d'autres tirent leur épingle...du jeu, justement. Je veux parler de Matthew Goode et Allen Leech, impeccables, de même que Charles papa-Lannister Dance. Mais aussi, évidemment, de Benedict Cumberbatch. Si sa performance ne bluffera pas tout de suite les fans de Sherlock, habitués à le voir dans le rôle d'un génie antipathique, la seconde partie du film aura de quoi combler tout le monde. L'acteur prouve qu'il peut amener une sensibilité infinie à son personnage. Tout est juste, sans trop en faire, avec ce talent et cette retenue qu'on retrouve chez beaucoup d'acteurs british. 

Ensuite, si l'on peu reconnaître une qualité principale à ce film, c'est qu'il nous fait oublier pendant les trois quarts de sa durée que l'on regarde un biopic. En effet, on se croirait dans un thriller, et on se laisse volontiers embarqué dans la course à la montre menée par cette équipe anglaise de choc. Le rythme est soutenu, de même que notre attention. 

Cependant, ce n'est pas un sans faute, car The Imitation Game tombe dans le piège habituel des biopics bien propres sur eux. Ce besoin de finir sur un faux happy end pour ne pas choquer, avec, ensuite, sur fond d'images montrant un feu de joie plein d'allégresse, la véritable fin écrite sur l'écran. En effet, c'est le cas pour presque tous les films de ce genre. Mais est-ce vraiment nécessaire ? Ne peut-on pas prendre cinq minutes de plus pour montrer les choses (ce qui est quand même le propre du cinéma) ? 

Ce petit bémol fait ressortir de la salle avec un goût amer, alors que tout avait si bien commencé. Le film est rempli d'émotions, sans pour autant basculer dans le pathétique, mais cette ode à la différence  aurait été beaucoup plus poignante si l'on avait terminé sur le suicide de Turing. Certes, cela aurait été très triste et choquant. Mais cela aurait été tant mieux. Parce que faire un biopic sur ce personnage hors norme, le sortir de l'ombre, vouloir faire valoir ses droits mais ne pas assumer sa fin tragique, c'est refuser d'aller jusqu'au bout.