Dans le cadre de l'un de mes cours le semestre dernier, j'ai eu l'occasion
d'étudier les femmes d'actions dans les séries américaines. Avec trois amies,
nous avons fait un exposé portant sur Buffy the Vampire Slayer.
Comme le thème et l'angle semblent en intéresser beaucoup, je partage ici avec
vous la version écrite (et remaniée, pas besoin d'être aussi scolaire) de cet
exposé.
Bien évidemment, il ne couvre qu'une partie de la question, car, même comme
ça, nous n'avons pas eu le temps de tout dire à l'oral. Buffy est une série
tellement riche que l'on pourrait parler de la représentation qu'elle offre de
la femme d'action pendant trois jours. Alors je ne vous parle même pas du
reste. Toujours est-il que voilà le résultat.
Commençons par le commencement. Buffy contre les vampires est
une série américaine créée par le scénariste/réalisateur Joss Whedon et diffusée entre
le 10 mars 1997 et le 20 mai 2003 sur les chaînes Warner Bros et UPN (chaîne
depuis remplacée au profit de l’actuelle CW). Elle compte au total sept
saisons, soit 144 épisodes d’une quarantaine de minutes, qui ont eu un fort
impact aussi bien sur l’histoire de la télévision américaine que sur la pop
culture mondiale.
La série bénéficie d'ailleurs toujours d’un énorme « cult
following » et reste une source d’inspiration dans le milieu
académique américain : les « Buffy
studies », qui touchent aux gender, media et pop culture « studies », se sont
développées au début des années 2000. Appartenant au domaine universitaire des
« cultural studies », ces études montrent la
multiplicité des sujets et thèmes évoqués par Whedon et les différentes
lectures que la série a suscitées et suscite
encore aujourd’hui.
L’idée de la petite blondinette tueuse de vampire prend en réalité forme en
1992 avec le film Buffy, tueuse de vampires ; Whedon, qui a scénarisé le long-métrage, l’a complètement désavoué par la suite en raison de
différends avec le réalisateur. Toutefois, son projet originel va
perdurer : en effet, il souhaitait déjà avec le film renverser le cliché
de la « petite fille blonde qui se balade dans une sombre rue et finit
tuée comme dans chaque film d’horreur » et ainsi donner le pouvoir à une
femme d’apparence commune,
« the idea of a seemingly insignificant female who in fact turns out to be extraordinary » - Buffy :Television With Bite
L’échec du film va permettre à Whedon d’étoffer son personnage, quelque peu
égratigné par le film, et mener à bien son projet féministe.
En effet, le créateur explique clairement vouloir faire de la série une
œuvre libératrice pour les femmes :
"The very first mission statement of the show was the joy of female power: having it, using it, sharing it."
De plus, Joss Whedon, figure importante de la « culture
NERD » (on parle du « whedonverse »), reconnaît avoir voulu ériger Buffy au statut d’icône en s’adressant tout d’abord
à la jeunesse :
« I wanted her to be a hero that existed in people's minds the way Wonder Woman or Spider-Man does, you know? I wanted her to be a doll or an action figure. I wanted Barbie with Kung Fu grip! I wanted her to enter the mass consciousness and the imaginations of growing kids because I think she's a cool character, and that was always the plan. I wanted Buffy to be a cultural phenomenon, period. ».
La production va permettre au créateur d’atteindre ses objectifs en ciblant
la tranche des 18-35 ans. La série sera un succès critique et
commercial et comme je vous l’ai dit précédemment, un succès populaire. La
métaphore du « lycée comme film d’horreur » plaît immédiatement, tout comme la diversité des thèmes et de
leur traitement.
Si Buffy contre les vampires précède ce qu’on
désigne comme « l’Age d’or de la télévision », beaucoup de
critiques et de professionnels s’accordent à dire que la série fût influente au point d’inspirer la création de
nombreuses héroïnes de séries fantastiques (Bryan Fuller pour Dead Like
Me, Russel T Davies pour Doctor Who) et de re-populariser les
grands arcs narratifs dans les séries.
« TV was not art before Buffy, but it was afterwards » - Robert Moore dans PopMatters
Un peu de contexte
La série a donc vu le jour dans les années 1990, soit en plein dans la
période de la troisième vague de féminisme. Buffy peut être
considérée comme l’héritière du post-féminisme et du postmodernisme, deux
mouvements qui ont changés notre façon de représenter le genre et l’identité.
Angela McRobbie explique, dans son ouvrage Postmodernism and
popular culture que le post-modernisme peut
avoir différentes définitions. Ici, nous retiendrons celle où l'auteur qualifie
ce mouvement comme étant un « concept pour comprendre les changements
sociétaux ». Ainsi, aux Etats-Unis, avec l’émergence et les luttes
menées par les différents mouvements d’émancipations, appartenir à un
sexe, une race ou à une orientation sexuelle ne garantie plus d’être dominant.
A partir de ce constat, notre façon d’envisager et de représenter le genre et
l’identité va également changer. Par exemple, on ne va plus seulement
représenter la femme comme une mère, une femme au foyer etc. mais on va pouvoir
voir des femmes qui travaillent, des mères célibataires, des lesbiennes etc. Ce
mouvement a permis d’ouvrir le débat sur la représentation, le pouvoir, la
diversité et la différence.
Le post
féminisme, nous allons ici l'envisager comme la déconstruction
du féminisme. Ce mouvement interroge le féminisme traditionnel, qui ne
parlait pas “des” femmes mais de “la” femme comme une entité unique. C’est un
mouvement qui va également se poser la question des identités de genre et des
identités sexuelles. On retrouve donc ici la notion d’intersectionalité : le fait que l’on s’intéresse
au genre, à l’orientation, à la classe sociale des femmes. L’individu se
retrouve dans la société à l’intersection de ces phénomènes identitaires. Il se
retrouve dans une position de pouvoir particulier à l’intérieur de sa société.
Ce mouvement post féministe va également faire tomber les barrières érigées
entre féminisme et féminité par les féministes de la seconde vague. Nous sommes
arrivés à une époque où il devient impossible de conceptualiser les jeunes
filles entre ces deux pôles distincts.On retrouve d'ailleurs cette critique du
féminisme traditionnel dans Buffy : en effet les « good girls » de Buffy (je ne parle donc
pas de Buffy ou de Willow, qui sont loin d'être des "good girl
pures", et sont beaucoup plus nuancées que cela) montrent que trop
adhérer à l’idéal féminin prôné par le féminisme traditionnel est
autodestructeur pour les jeunes filles issues du mouvement post-féministe. Etre « too
good », c’est signer sa perte : les good girls pures meurent toutes
(Kendra, Tara, April…).
Buffy est également souvent considérée comme une héroïne du Girl
Power. Ce mouvement, qui émane de l’ère post-féministe, est une construction
médiatique (souvent associé au groupe de pop anglaise les Spice Girls,
qui en ont fait leur hymne ou à Madonna, Britney Spears etc.) qui s’est
étendu jusqu’au monde de la mode (piercing, blue jeans, string,
mini-jupe, bref, des vêtements qui dévoilent plus le corps).
A la fin des années 1990 l’archétype du girl power, cette jeune fille
puissante, violente et souvent posée comme objet sexuel, est devenu l’un des
piliers de la télévision et du cinéma. Ce mouvement est souvent vu comme étant
plus positif pour les jeunes filles. Imelda Whelehan explique qu'en fait, le « girl power » joue avec
l’illusion de la culture contemporaine qui perpétue l’idée que TOUTES les
femmes peuvent facilement accéder à différentes carrières et à des moyens
d’expression personnelle. Le «
girl power » ravive l'idée selon laquelle les jeunes femmes « contrôlent »
leurs vies et offre ainsi un message plus positif et plus libérateur que le
féminisme contemporain.
La série est construite autour d’une multitude de binaires :
masculin/féminin, humain/monstre, active/passive, faible/forte, bon/mauvais,
adolescent/adulte, pouvoir/impuissance, hétérosexualité/homosexualité.
Toutes ces binaires vont être renégociées,la série va tenter de brouiller
les barrières entre les deux. La seule chose qui n’est pas négociée dans Buffy est
la question des ethnies et des races. En effet, c’est surtout une
classe moyenne, blanche et hétéro qui domine le show.
La question d’identité est donc au cœur des mouvements qu’on a vu et de la
série. En effet, dans Buffy, l’identité est toujours instable,
elle est toujours construite, déconstruite et négociée: les personnages passent
du bon au mauvais, du mauvais au bon, de l’hétérosexualité à l’homosexualité,
de gagnant à perdant, mais surtout d’adolescent à adulte. Ces identités se
forment et se déforment en fonction de leurs relations avec les autres, un
autre qui est souvent du sexe opposé. A partir de ce constat, la réflexion qui
suit sera axée autour de la question suivante :
Comment les constructions identitaires dans Buffy vont influencer la représentation de la femme d’action dans la série ?
"I'm Buffy. I'm new."
Contrairement à beaucoup d’autres séries, Buffy est dotée
de beaucoup de personnages secondaires, qui ont tous leurs propres arcs
narratifs, qui vont se développer de saisons en saisons.
Certains pensent que l’omniprésence de ses amis empêche de considérer Buffy
comme une héroïne indépendante (ses amis la sauvent, l’aident, etc.). Ils
servent en fait à la mettre en valeur en tant que femme d’action : même
s’ils l’aident, c’est elle qui se bat, à main nues. Quand ses amis s’y
essayent, ils ne se révèlent souvent pas très doués.
Ils rendent Buffy unique même parmi les Slayers : en effet elle est la
seule à être ainsi entourée, ce qui est vu comme quelque chose de négatif par
Kendra ou le Conseil des Observateurs, car cela veut dire qu’elle ne peut
assumer sa tâche toute seule. Cependant c’est son attachement envers ses amis
qui fait que Buffy vit plus longtemps que beaucoup d’autres Slayers : elle
doit s’occuper des autres, et cela la maintient en vie (et, bonus, ils la
ramènent à la vie quand elle meurt ; c'est pas beau l'amitié ?)
Ce groupe d’amis qui composent la série est appelé « Scooby
Gang » (par les personnages eux-mêmes). Il comprend 4 membres « de
base et est complété par d’autres personnages au gré des saisons (la
plupart du temps ce sont des petits/petites ami(e)s des membres de base).
Giles est la figure paternelle par excellence. Il est d'ailleurs le seul référent adulte masculin et responsable pour la plupart des protagonistes. Le père de Buffy est aux abonnés absents, et les seules autres figures paternelles sont soit des démons qui veulent détruire le monde, soit le père de Xander, alcoolique et violent...Il est surtout celui qui doit guider Buffy
dans son travail de Slayer. Il fait parti du conseil des Observateurs, vu par
la plupart des spectatrices comme une institution patriarcale abusive. Le fait
que la Slayer ne puisse se débrouiller seule dérange pas mal. En effet, on
n’assigne pas un tel guide aux chasseurs de vampires masculins. On peut nuancer
cette critique car il n’a pas l’ascendant sur elle : elle vient le trouver
quand elle a besoin de lui. On peut quand même noter qu’il part de son plein
gré quand il se rend compte qu’il empêche Buffy de grandir et
de progresser, car elle en est venue à trop compter sur lui.
Xander est la figure du
« loser », maladroit et malheureux en amour. C’est le « normal
guy » du groupe, il ne possède aucune aptitude particulière mais il est
loyal. Il évoluera en homme responsable et indépendant.
Le dernier membre du Scooby Gang, et un personnage féminin de taille dans
la série, Willow. Dans les premières saisons, c’est l’archétype de
l’intello qui aime les cours qui s’habille un peu bizarrement, est timide etc.
Sa particularité est alors qu’elle est très douée en informatique/technologie
(quelque chose que l'on peut souligner, car ce sont des univers plus souvent
associé aux hommes).
Vers la fin de la série, elle va elle-même devenir une femme d’action, et
sera même plus puissante que Buffy. En effet, elle se découvre des aptitudes à
la magie (parallèlement, elle devient homosexuelle ; double mise à l'écart de
la société, bravo ; mais on reviendra là dessus plus tard). Elle est celle qui
va ramener Buffy d’entre les morts et qui va réveiller les potentielles Slayers
à la fin de la saison 7, distribuant ainsi le pouvoir à une multitude de jeunes
filles. Ce statut de femme d’action peut cependant être
discuté : oui, elle agit, elle est puissante, ses actions permettent de
gagner, mais elle n’utilise pas son corps comme une arme, pas comme Buffy le
fait. Son corps est plutôt le lien qui l’unit avec la magie. Semi femme d’action
donc ?
Last but not least, Buffy apparaît tout d'abord comme une jeune
fille normale, qui veut s’amuser, ce qui va permettre une identification plus
facile pour le public, mais très vite, son destin et ses désirs vont s’écarter
de la norme de genre, et ce de plus en plus au fil des saisons.
Elle va progressivement perdre son innocence, sa joie de vivre et son style
va changer : des couleurs girly, on passe au cuir à connotation sado-maso.
Le choix de son prénom est important, car il est très féminin, et elle va en
cela se distinguer des final girls dans les slashers, qui
tendent à être plus androgynes et qui ont des prénoms qui vont avec cette idée
(Laurie, Sydney). Le fait que son prénom soit dans le titre de la série
souligne d'ailleurs l’ironie des créateurs pour les stéréotypes de genres dans
les films de vampires. (On peut cependant nuancer l'idée de l'ultra féminité du
prénom Buffy quand la version française du film de 1992 a francisé le
prénom en Bichette...)
Buffy est une Tueuse et les Tueuses sont forcément des femmes. Si la série
discute souvent de ce point, elle n'offre pas de véritable explication. On
trouve cette dernière dans le film Buffy. Dans ce dernier,
elle (Bichette...) possède un détecteur de vampire qui se manifeste par des
crampes que beaucoup de femmes ont pendant leurs menstruations. La tueuse ne
peut donc être qu’une femme, c’est biologique, sa capacité à mener à bien sa mission dépend de sa faculté à avoir ses règles...Ouaip. Cela a été enlevé de la série
cependant.
Une représentation révolutionnaire de la femme d’action à nuancer
La série
propose une « nouvelle » représentation de la femme qui contraste
avec les représentations habituelles : dans Philoséries Buffy, Pascale Molinier explique par exemple que
« Les filles et les femmes sont fétichisées comme objets du désir, saintes ou salopes, mais rarement représentées comme actives, ingénieuses, et surtout agressives ou actives sexuellement, ou alors pour un temps très bref, qui précède leur retour dans le rang (du mariage et de la procréation) ou leur punition sous forme de destin funeste ».
Or Buffy est active, ingénieuse (même si
ce n’est pas une « intello »), parfois agressive et sexuellement
active (surtout dans la saison 6 avec Spike).
De plus, on peut noter que Buffy fait
passer son travail de Tueuse avant sa vie privée. Cela pourrait venir illustrer
la difficulté des femmes modernes à conjuguer vie privée et vie
professionnelle, mais également le choix de certaines femmes qui choisissent de
privilégier leur carrière à une vie de famille « traditionnelle », c’est-à-dire
être épouse et mère. On voit en cela que Buffy est le produit des idées et des
considérations de son époque, un personnage ancré dans la réalité sociale dans
laquelle elle est produite et diffusée.
La série
propose également une « nouvelle » représentation de la femme d’action à la télévision
: elle développe, approfondie les représentations jusque là proposées et dans
lesquelles elle puise son inspiration :
« Les héroïnes fantastiques de Chapeau melon et Bottes de cuir sont à compter parmi les inspiratrices adultes du personnage de Buffy à la fois sophistiquée, la langue bien pendue, sachant se battre et n’ayant peur de rien. ».
Contrairement à Wonder Woman, The Bionic
Woman ou Xena, elle n’a pas d’équivalent masculin, et c’est elle, qui, au
contraire qui va inspirer un spin-off : Angel (Catharsis of
Sufferance / 1999-2004)
Ce qui fait d’elle une femme d’action :
Sa force physique : son corps est
construit comme un corps plus « masculin » et « viril » que
« féminin » malgré son apparence fluette, car elle utilise ce corps
pour se battre. On constate qu’elle n’utilise jamais d’armes qui permettent de
tuer à distance ses adversaires, comme les armes à feu par exemple (seule
exception : l’arbalète). Le pieu et la hache sont ses armes de prédilections et
on peut souligner que ce sont des armes
de forme phallique qui représentent l’attribut masculin, la dominance, l’actif.
Elle a donc le « pouvoir » entre les mains et se détache en cela des
femmes d’actions précédemment représentées à la télévision américaine (mise à part
Xena, diffusée peu avant Buffy).
Elle diffère du
chasseur de vampires traditionnel qui est un homme d’âge moyen à l’allure
assez sombre et qui ne s’engage pas en combat singulier à cause de la puissance
mortelle des vampires, alors que Buffy, jeune et mince jeune fille, ne fait que
ça !
Elle dirige l’action et résout le problème
initial en ayant le dessus sur ses adversaires ce qui est
important pour une héroïne d’action : elle tue les « monstres de la
semaine » présents dans chaque épisode, et les ‘Big Bad’ à la fin de
chaque saison.
Elle est courageuse, brave, elle n’a
pas peur et n’hésite pas à se sacrifier pour sauver ses amis et le monde : elle
a sauvé le monde de l’apocalypse un bon nombre de fois (5 fois, ça compte quand
même non ?)
Elle contraste
en cela avec les autres personnages féminins de la série, notamment
Cordelia (dans les 3 premières saisons) qui correspond au stéréotype de la
fille écervelée qui doit sans cesse être sauvée. On peut également parler du Buffybot
qui est la version robot de Buffy, version superficielle
qui représente ce qu’elle serait si elle n’était pas la Tueuse, et qui renvoie à
l’idée de cyborg, cet être transhumain (qui est ici très clairement critiquée
par Whedon).
Cependant, si Buffy constitue un pas en
avant non négligeable dans la représentation de la femme d’action à la télévision,
il est nécessaire de nuancer notre propos car certaines choses sont faites notamment
pour compenser une certaine masculinisation liée à sa force incroyable et son rôle
de sauveuse :
Buffy n’est pas une héroïne solitaire,
ni très indépendante notamment
en matière d’hommes : son identité se reconstruit à chaque fois qu’elle change
de partenaire dans la série, et par conséquent son identité de femme est d’une certaine manière dépendante de sa
relation avec des hommes. Il y aura d’abord Angel (saisons 1 à 3) qui lui
aura fait verser beaucoup de larmes, ce qui renvoie par conséquent à la
sensibilité propre aux femmes et qui contraste avec son rôle de Tueuse. Ce
point serait également une façon de mettre l’accent sur le côté « série
pour ados » de Buffy puisqu’elle est en proie à des souffrances liées
à ses problèmes de coeur comme c’est souvent le cas dans ces séries.
On peut également citer sa relation avec
Riley (saisons 4 et 5) et enfin Spike (saisons 6 et 7) avec qui elle entretient
une relation bien plus adulte bien que « hors-normes ». Son identité
évolue au fil de la série et de ses relations avec eux. De plus, elle est
souvent aidée, voire sauvée par le Scooby Gang et ces trois hommes.
Sa féminité est parfois exagérée : elle est
toujours apprêtée, bien maquillée, coiffée, habillée, même quand elle combat.
Tuer des vampires en robe et en talons n’a jamais semblé aussi facile !
Son hétérosexualité est mise en avant, certainement
pour ne pas créer d’ambiguïté au niveau de son orientation sexuelle, afin de
rassurer le spectateur masculin, lui dire « on te présente une femme bien
plus forte que toi, mais qui reste sensible à ton charme, ne t’inquiète pas ».
Buffy est donc
un personnage complexe qui mélange les genres : elle est féminine, parfois à outrance,
pour contre-balancer son côté masculin qui se dégage de son travail de Tueuse.
On peut aussi mettre en avant le fait
que sa force est surnaturelle. Son pouvoir est potentiel, latent, elle
devient aussi puissante parce qu’elle est l’Elue, choisie par une force
surnaturelle, c’est-à-dire qu’elle est
ce qu’elle est uniquement à travers un attribut fantastique, un attribut
qui n’existe pas dans la réalité : au final, la femme forte, d’action ne
resterait qu’un fantasme, qu’un modèle sorti tout droit de l’imagination de ses
créateurs et rien d’autre. De plus, Buffy a du mal à accepter son rôle de
Tueuse (dans la saison 1 surtout), du mal à trouver sa place dans la société,
ce qui laisserait sous-entendre qu’une
femme forte et puissante comme elle n’a pas sa place dans la société.
“Faith. Her name alone invokes awe. “Faith”. A set of principles or beliefs upon which you’re willing to devote your life. The Dark Slayer. A lethal combination of beauty, power, and death.” – Andrew Wells
Faith est
souvent désignée comme le « monstre humain »
et c’est le personnage le plus discuté dans les Buffy studies. Son humanité la démarque des autres « bad girls » de
la série, qui sont surtout des vampires ou des femmes démons (Drusilla,
Harmony, Gloria, etc.), et, contrairement à ces femmes démons, elle trouvera la
rédemption. De plus, elle est faite pour être une héroïne,
de par son statut de tueuse.
Faith sert à mettre
encore plus Buffy en valeur. Elle est son « ombre maléfique
»
car contrairement à Buffy, elle est « morally bad ». Elle fait également
prendre conscience des privilèges de Buffy en tant que white girl de la classe
moyenne : elle a des choix, ce que Faith n’a pas eu (enfance difficile et
chaotique, elle est seule, abandonnée par ses Watchers etc.). Elle est presque
le seul personnage à venir de la « lower class »,
et cela explique ses difficultés à s’intégrer dans le Scooby gang, qui vient de
la classe moyenne (sauf Xander).
L’identité de
Faith combine féminité et féminisme. Ainsi ce qui la définit en tant que « bad girl », c’est
avant tout sa sexualité débridée et violente. Sa féminité est
sexualisée, ce qui se voit dans sa coiffure, son maquillage et ses habits en
cuirs etc., au point qu’à côté d’elle, Buffy semble conservatrice.
Elle fait le
lien entre tuer et le sexe. Elle est « bad » parce
qu’elle aime ses deux
choses. Elle voit son rôle de tueuse comme une supériorité
alors que Buffy le voit comme une responsabilité. Son désir de contrôler sa
destinée est ce qui la rend menaçante, de même que son rejet de l’autorité. Chez
Buffy, cela est perçu comme un bon comportement post
féministe, alors que chez Faith, cela va la rendre « incontrôlable
» aux
yeux des autres, ce qui montre une image de la femme ressentant des désirs « détraqués », une femme instable psychologiquement.
Elle porte peu d'attention à avoir des comportements appropriés dû au manque d'éducation
qu'elle a eu, elle en serait plus « animale
»,
plus « intuitive » que Buffy. C'est un personnage porté par ses pulsions,
et elle agit en conséquence.
Faith est un personnage masculinisé, elle rejette l’autorité,
ce qui lui donne une figure de rebelle, elle rejette ses émotions au profit de
l’action, elle est compétitive, en particulier face au personnage de Buffy. Le
fait qu'elles soient toutes les deux des tueuses créé une sorte de concurrence
entre les deux personnages, qui d'un côté les mènera à
vouloir s'entretuer, mais cela participera également à créer une ambiguïté
sexuelle entre les deux personnages.
La forte sexualité de Faith va s'imposer face à
celle de Buffy, et l'ambiguïté naît de la difficulté qu'a Buffy à résister à Faith.
Mais cette ambiguïté reste implicite car l'attirance des deux personnages n'est
que suggérée. La production a d’ailleurs interdit une scène de baiser entre les
deux personnages. De nombreuses fanfictions existent sur ces deux personnages.
Le reste de sa
sexualité est libre, elle ne veut pas de relation durable, malgré l'obtention d’une
vie romantique dans la saison 7 qui marquera d’ailleurs sa rédemption (la femme
qui rentre dans le droit chemin en remplissant son devoir…). Autant de caractéristiques
qu’on retrouve chez le héros d’action, qui n'a
aucune difficulté à être reporté sur un personnage féminin. Et c'est en ça
que le personnage de Faith incarne mieux la femme d'action que celui de Buffy.
Le personnage de
Faith ne cesse de pousser Buffy à bout, elle la provoque, pour lui faire voir une
réalité qu'elle refoule, des désirs ou des plaisirs qui ne sont pas moraux,
elle a une vision sombre et cynique de la réalité alors que Buffy tente toujours
de voir le bon côté des choses. Elle représente l’alter-ego de Buffy, agit aux antipodes du comportement de
Buffy.
Faith ne cesse de pousser Buffy à répondre à ses désirs,
parce qu'en les ignorant, Buffy n'agit pas, et c'est là le contraire de la
femme d'action.
Et c'est sûrement pour ça que Buffy admire Faith dans un
sens, parce qu'elle représente la vraie femme d'action, qui ne s'empêche pas de
vivre et d'acquérir de l'expérience, elle agit sans cesse, ne reste pas en
place, et est beaucoup plus libre que Buffy, qui semble enchaînée à son devoir
de tueuse.
Féminisme et représentations queer dans une série métaphorique
Willow est le personnage qui rentre le moins dans les catégories
traditionnelles. Elle est à la fois plus ambivalente et plus puissante que
Buffy. Elle ne représente pas la féminité traditionnelle ni l’hétérosexualité qui
domine pourtant la série : elle brouille les barrières et existe en dehors des
structures patriarcales.
Le couple qu’elle forme avec Tara est le
premier couple lesbien représenté de manière assumée à la télévision américaine : il y a eu
Xena/Gabrielle plus ou moins au même moment vu que les deux séries sont diffusées
à la même époque (1995-2001 pour Xena ; 1996-2003 pour Buffy). C’est
donc un pas en avant non négligeable dans la représentation des homosexuels à la
télévision, car ils étaient jusque là le plus souvent cantonnés à des seconds rôles
de comiques grotesques et caricaturaux, notamment pour les hommes.
Cependant au départ leur relation est
assez peu développée et relayée au second plan, ce qui est certainement dû au fait
que les producteurs étaient assez réservés vis-à-vis de l’apparition d’un personnage
homosexuel à la tv et voulaient « tâter le terrain » avec les
spectateurs, voir si cela fonctionnait ou posait problème. Par la suite leur
relation prend de l’ampleur et devient aussi banale et normale que
les autres relations de la série.
« L’expérience de la différence s’y incarne dans des corps monstrueusement désirants et désirables. Des affects jusqu’alors décalés, subversifs, par exemple une sexualité lesbienne, des fantasmes de destructivité féminins ou leur expression active dans une sexualité mordante, se trouvent offerts à tous, en l’occurence surtout à toutes, participant ainsi par le moyen puissant de la diffusion télé et Internet, à la critique féministe des formes étroites et figées de la féminité conventionnelle (gentille, au service des autres, etc.).» (Philoséries Buffy p. 174)
Cette citation explique plutôt bien le
fait que la série propose des représentations jusqu’alors peu ou pas développées
à la télévision et qui permet, parce que c’est un média de masse, de les
diffuser au plus grand nombre et par conséquent de participer à leur
normalisation.
La métaphore de la magie pour parler de
l’homosexualité puis de l’addiction
« La lecture critique la plus répandue de la relation Willow/Tara est celle dans laquelle la magie et la sexualité lesbienne sont confondues. ‘Lesbienne’ peut facilement remplacer‘sorcière’, puisque les deux sont des identités sociales, et les expériences sexuelles de Willow sont étroitement liées, parfois même synonymes de ses expériences magiques. » (Jes Battis, « ‘She’s Not All Grown Yet’: Willow As Hybrid/Heroin Buffy the Vampire Slayer », in Slayage)
On peut voir un exemple de cette idée
dans l’épisode 6 de la saison 5 dans lequel Tara doit affronter sa famille qui
tente de prévenir ses amis qu’elle est un « démon » dont seuls eux
peuvent s’occuper. Cela permet d’aborder de manière détournée le moment du
coming out et l’acceptation de l’homosexualité des adolescents dans leur
famille et leur entourage.
On peut également mettre en avant l’humour
queer des scénaristes qui assimile par exemple, bars de démons et bars
gays (S7E12) ou qui transforment Willow en garçon sous l’effet d’un premier
baiser avec une autre fille (S7E13).
Enfin, on retrouve dans la série l’idée
de Joan Rivière et la « féminité mascarade » (Rivière explique que beaucoup de femmes se comportent en tant que femme pour plaire, la féminité est un costume que l'on peut enlever) :
« Buffy ne croit pas à la profondeur des identités de genre, la féminité peut être mise ou retirée comme un costume, c’est la robe ou la situation de flirt qui fait la fille »
« [elle] peut aimer son corps de fille, et faire la fille, en ayant des fantasmes machos, tout en se moquant de ses fantasmes de fille et de ses fantasmes machos. »
La métaphore des démons comme symptômes de
la société et angoisses des adolescents face à l’entrée dans l’âge adulte :
l'écrivain
Martin Winckler, auteur de nombreuses analyses sur les séries télévisées, présente la série comme " l'épopée d'un groupe d'adolescents face aux démons de la vie".
Dans une
interview, Joss Whedon a déclaré : "Le lycée était un film d'horreur
d'humiliation, d'isolation, et de pouvoir, et de cruauté. C'est assez pour sept
ans de divertissement."
L'idée
de base pour la série est donc le lycée comme film d'horreur. Une première métaphore,
un genre cinématographique dans un contexte réaliste dans lequel on peut se
reconnaître pour en faire une série télévisée. Le lycée représente en quelque
sorte la première étape de la construction identitaire. C'est une période
pendant laquelle on se remet beaucoup en question à cause de ses "démons
intérieurs", et comment mieux les représenter que par des figures de films
d'horreur, vampires et démons. De ce fait, Whedon a donc situé le lycée de Sunnydale sur la bouche de l'enfer.
On assiste alors à différents niveaux de
monstres pour représenter les différents niveaux des problèmes auxquels les
adolescents peuvent faire face. Il y a les "monstres de la semaine"
qui servent de métaphore aux anxiétés quotidiennes des adolescents.
Et il y a les "monstres de la
saison", appelé le "Big Bad", une figure plus difficile à combattre
que les vampires quotidiens, comme par exemple le maire Wilkins, avec qui le
principal Snyder, qui est censé être une figure d'autorité du lycée, est de mèche en acceptant qu'il se déroule des
activités surnaturels au sein du lycée, sans pourtant avoir un regard sur ce
qu'il se passe, pour finir tué par lui. Le "Big Bad" au cours de la série
est de plus en plus méchant, de plus en plus difficile à combattre, parce que plus l'on grandit, plus les problèmes
deviennent sérieux (je sais c’est nul).
L'entrée à l'université
marque d'importants changements où il ne faut pas
perdre de vue l'essentiel : les liens entre les quatre personnages principaux,
mis à mal par Spike pendant la saison 4. Willow connait la tromperie de Oz et
fait son coming-out après sa rencontre avec Tara. L'arrivée de l'Initiative est
une métaphore pour mettre opposition la science et la magie, la science tente
de contrôler la magie, en vain.
On retrouve après la période de remise
en question et de libertés universitaires, un retour aux valeurs familiales et à
la quête de sa nature de tueuse, qui revient
au sentiment d'appartenance en général.
La 6ème
saison marque une transition, elle est plus sombre et plus adulte, Buffy a été arrachée de son paradis, qui serait une métaphore pour l’innocence et la naïveté de l’adolescence face à la réalité et la dureté
du monde adulte
: Buffy va devoir s’occuper de sa sœur, faire face aux problèmes financiers, se
définir et avoir un projet de vie. C’est une saison dans laquelle le Scooby
gang ne fait pas face à un démon mais où les personnages
font face à eux-mêmes, leurs doutes angoisses et craintes. La psychologie de
chaque personnage est poussée à son paroxysme afin de marquer la recherche d'un
équilibre identitaire.
Le
retour au lycée en tant qu'aide plutôt qu'élève qui en subit les tourments
montre l'apogée de Buffy dans sa quête identitaire. Ayant combattu
ses démons depuis l'époque du lycée, elle peut maintenant aider les générations
suivantes à combattre les leurs, comme elle a fait avec son public. C'est le
dernier poste qu'elle occupera, un poste dans lequel elle se sent à sa place,
elle a donc achevé sa construction identitaire, ce qui marque la fin de la série.
La métaphore de la morsure du vampire
pour représenter l’acte sexuel (cf épisode 322 Buffy/Angel) et son contraire : l’impuissance (cf. épisode
407 Spike/Willow)
« A quoi servent les vampires et
autres phénomènes venus d’en dessous ? A prendre la sexualité au sérieux en
estompant les frontières entre sexualité normale et sexualité perverse,
sexualité hétéro et homosexuelle, en créant un espace de mise en scène de la
pulsion sexuelle et de ses aberrations comme disait Freud. » (p.159, Philoséries Buffy Tueuse de
vampires)
Féminisme ?
“So here's the part where you make a choice. What if you could have that power, now? In every generation, one Slayer is born, because a bunch of men who died thousands of years ago made up that rule. They were powerful men. [points to Willow] This woman... is more powerful than all of them combined. So I say we change the rule. I say my power... should be our power. Tomorrow, Willow will use the essence of the Scythe to change our destiny. From now on, every girl in the world who might be a Slayer, will be a Slayer. Every girl who could have the power, will have the power, can stand up, will stand up. Slayers... every one of us. Make your choice. Are you ready to be strong?”
Comme je vous l’ai dit précédemment, les
entreprises d’émancipation féminine et de corruption de genre et de « gender », sont au cœur de la démarche de Joss
Whedon, qui s’identifie lui-même comme féministe. Mais Buffy était-elle pour
autant une série féministe ?
“So, why do you write these strong female characters? - Because you're still asking me that question.” – Joss Whedon [Equality Now speech, May 15, 2006]'
C’est indéniable, il y a chez Whedon pléthore
de personnages féminins, complexes et avec des personnalités variées. La plupart des femmes de Buffy ne
peuvent être réduites à un seul adjectif ou à des archétypes/tropes (à part peut-être Harmony). Mais elles répondent toujours à des injonctions
misogynes et patriarcales, que ce soit pour les héroïnes ou pour les antagonistes.
Revenons à la citation : l’émancipation féminine passe nécessairement
par la force physique ; force qui ne semble alors pas naturelle chez une
femme « féminine » ; on ne parle pas d’écrire des hommes forts n’est-ce
pas ? La force est naturellement culturellement associée à la masculinité.
Buffy est dotée d’une force surnaturelle qui
va lui permettre de s’émanciper d’un univers patriarcal et par la même occasion
de libérer ses semblables, les tueuses potentielles, à la fin de la série. Elle affronte une myriade de personnages
masculins plus misogynes et sexistes les uns que les autres (exemple du prêtre
Caleb qui veut exterminer les tueuses, Buffy finira par le castrer hihi bien
fait) et triomphe toujours. On peut y voir le message positif de la série :
la solidarité des femmes fortes vaincra
l’oppression masculine.
Toutefois, le féminisme de Whedon a ses
limites : Buffy correspond toujours à un idéal masculin. Il en est de même pour tous les
personnages féminins, conformes à des standards de beauté occidentaux :
minceur, épilation, traits du visage etc. Elles sont toujours très belles à regarder.
De plus, ce
féminisme est accessible aux femmes blanches, valides et pour la plupart,
issues de la classe moyenne. Les Tueuses racisées sont sous-développées, exotisées et très vite tuées : Kendra, la première tueuse, la mère du principal Robin Wood…Pas
vraiment inclusif tout ça.
Le féminisme
de Buffy est à l’image de la 3e vague féministe ; entre ambiguïtés et
contradictions, il montre à quel point les identités féminines sont changeantes
et multiples. Un
message féministe traverse la série mais peut-on la considérer comme une œuvre féministe, émancipatoire,
si elle perpétue des injonctions quant à la conduite de la femme forte ?
Le débat est toujours ouvert et déchaîne les passions. C’est peut-être là, la
plus grande force de Buffy : elle soulève de nombreuses questions
sur le féminisme, le « gender » et la féminité.
En
conclusion, on peut dire que pour Buffy, être
la tueuse a été à la fois les maux et remèdes à sa condition : elle
en a beaucoup souffert mais en ressort grandie. Ce personnage montre bien le paradoxe de la femme d’action :
elle est « terriblement » féminine mais aussi apte à utiliser cette force qui
vient du fait d’être une femme. Cependant, elle ne rentre pas dans le moule,
on ne peut la simplifier, la réduire à sa force, à sa fonction. Les différentes
constructions identitaires explorées tout au long de la série font de Buffy une
femme qui va en représenter plein d’autres. Il n’y a pas UNE femme d’action
mais une multitude de femmes qui se battent avec ce qu’elles ont : leur
force surnaturelle, leur humour, leur intelligence et même leurs choix
vestimentaires.
« I've seen your kindness, and your strength, I've seen the best and the worst of you and I understand with perfect clarity exactly what you are. You're a hell of a woman. You're the one, Buffy.»