8 mai 2015

Le démon d'Hell's Kitchen : Netflix voit la vie en rouge


Il y a de cela presque un mois, Netflix mettait en ligne sur sa plateforme l'intégralité des treize épisodes qui composent la première saison de Marvel's Daredevil (on peut aussi se contenter de Daredevil), créée par Drew Goddard et Steven S. DeNight et qui met en scène le célèbre héros au casque cornu. 

La série se déroule trois ans après la fameuse bataille de New York qui a vu s'affronter l'armée de Chitauris menée par Loki et les Avengers qui a dévasté la ville. Pendant cette période de transition de quelques années, les criminels ont profité du chaos ambiant pour prendre discrètement le contrôle de la ville, et plus particulièrement du quartier d'Hell's Kitchen, où a grandi Matt Murdock, avocat aveugle le jour, justicier (toujours aveugle) la nuit (quoi que, concrètement, lui-même ne doit pas voir une grande différence entre les deux...pardon). 

Cette première saison est en fait l'occasion de montrer comment le "vigilante" (terme péjoratif désignant un justicier qui s'approprie la loi et son application) devient pleinement le fameux héros, tout en introduisant brillamment un certain nombre de personnages provenant de l'univers des comics. 
De gauche à droite : Le Caïd, Claire Temple, Matt Murdock, Karen Page, Foggy Nelson
Commençons par celle qui est peut-être mon personnage préféré, j'ai nommé Karen Page, interprétée par la jolie Deborah Ann Woll. Dans les comics, la secrétaire de nos avocats est la femme qui ravit en premier le cœur du justicier (et qui restera l'un de ses "love interest" principaux), mais aussi celui de son associé Foggy. Ce "triangle amoureux" est retranscrit avec finesse dans la série : même si l'on perçoit clairement tout ce qui se joue entre ces trois là, rien n'est fait de manière trop pataude et on croit à l'évolution de leur relation (même si avouons que Foggy qui renoue avec son ex en fin de saison reste un peu trop pratique pour le scénario pour que le spectateur ne voit rien venir. Mais comme pour le reste, c'est un sans faute, on ne dira trop rien, promis). Il faudra attendre la suite pour voir l'amour de Matt et Karen se concrétiser : ils savent y faire pour nous donner envie. 


Là où le personnage est intéressant c'est qu'il n'est, heureusement pas voué à n'être qu'une demoiselle en détresse ou une secrétaire dont les autres tombent amoureux. Karen Page est un personnage fort, qui se bat pour ce en quoi elle croit et qui ose prendre des risques, mais auquel le spectateur peut toujours s'identifier car elle réagit comme vous et moi face à des situations qui nous dépassent, de par leur violence ou leur aspect irréel (c'est également le cas pour le personnage de Foggy, d'ailleurs). C'est un gros point fort de la série.

L'autre personnage féminin récurrent est Claire Temple (Rosario Dawson), une infirmière qui va aider Daredevil à conserver la santé (comment ça je prends des raccourcis ? En gros, c'est ça). Dans les comics, elle va mettre en place un service de nuit pour s'occuper des super-héros blessés. Sympa. Ici, sa relation avec Murdock est très agréable à suivre, et encore une fois, tout est fait subtilement.

Franklin « Foggy » Nelson est le meilleur ami et associé de Matt. Il est interprété par l'acteur Elden Henson. Ce personnage suit le schéma classique de l'adjuvant, c'est à dire celui qui va aider et soutenir le héros dans sa quête, pendant la première partie de la saison : le meilleur ami sympa toujours en retrait par rapport à son pote qui lui vole toutes les belles filles, mais qui compense par sa droiture et son soutien moral sans faille. Heureusement, la deuxième partie permet à Foggy de s'épaissir (non, ceci n'est pas une blague vaseuse concernant son poids, je parle du personnage en entier, promis) et de lancer une nouvelle dynamique avec Matt lorsqu'il découvre le secret de ce dernier. Certes, on pouvait sentir jusque là planer un léger conflit pacifique entre les deux au sujet de Karen, mais là, c'est la déchirure, et j'ai : adoré. Encore une fois, le personnage est réaliste, pose les questions qu'on aurait aimé poser à ce fichu justicier masqué et aveugle, bref, il réagit humainement quoi (c'est un peu la base du contrat de lecture que font les créateurs avec les spectateurs : on veut de la crédibilité!!!).

Ben Urich, interprété par Vondi Curtis-Hall, est un reporter œuvrant pour le New York Bulletin. Dans les comics, il travaille en fait pour The Daily Bugle, où il croisera, en plus de Matt/Daredevil, un jeune homme nommé Peter Parker, dont il découvrira aussi la véritable identité. Les droits de la franchise Spider-man, et donc du titre du journal appartenant encore à Sony à l'époque de mise en route de la série , il leur était impossible de l'utiliser. Le duo de ce personnage avec Karen était vraiment une bonne idée, instaurant une dynamique intéressante. Ben représente aussi en quelque sorte le médiateur entre le super-héros et le commun des mortels.

Dans l'épisode 7, nous découvrons également le personnage de Stick, joué par Scott Glenn. C'est un super-héros créé par Frank Miller, apparu dans Daredevil en 1981 : il fait partie des Chastes, un groupe de ninjas mystiques. Il est aveugle de naissance, et cette infirmité va le faire se rapprocher du jeune Matt Murdock, qu'il va entraîner, ainsi qu'une certaine Elektra. Dans la série, on s'attarde surtout sur la relation qui s'établit entre les deux aveugles : il veut un guerrier, Matt cherche un père. On s'apercevra que ce lien n'est pas si simple à concevoir que ça, puisque les personnages eux-mêmes s'y perdent. A la fin de l'épisode, Stick permet également aux scénaristes d'introduire un autre personnage mystérieux que l'on ne voit que de dos et qui semble s'intéresser de près à Daredevil. Si vous connaissez un peu les comics : La Main (mais Stick étant leur ennemi ça ne collerait pas) ? Le Hibou ? Bien joué, ça sent la saison 2.

Elektra n'est pas présente cette saison mais, si on tend l'oreille, elle est évoquée lors du flash-back qui nous montre Matt et Foggy à l'université : en effet, les deux super-héros se sont rencontrés lors de leurs études et sont tombés amoureux, avant de se séparer.

Première apparition de Wilson Fisk
Si la série met le paquet en terme de gentils, elle met aussi en scène l'un des méchants emblématiques de l'univers Marvel : Wilson Fisk (Vincent D'Onofrio), a.k.a. Le Caïd (ou The Kingpin en version originale), super-vilain qui a sévit chez Spider-man avant de migrer à Hell's Kitchen, où il a grandi. C'est l'ennemi numéro un de notre héros-démon. Le moins que l'on puisse dire, c'est, qu'encore une fois, le casting est parfait : intimidant, le Caïd porte bien son nom. Mais, en prenant le temps de poser ses motivations, qui ne sont pas si éloignées de celles de Daredevil, on évite le piège classique du «  je suis méchant pour être méchant ». Finalement, les deux partis ne sont pas si différents, et c'est ce qui rend le combat pour Hell's Kitchen si compliqué.

On ne peut qu'applaudir la façon qu'a eu la série d'introduire ce personnage : c'est un amateur d'art et de cuisine, timide, qui essaye de conquérir Vanessa. C'est cette histoire d'amour qui va également retenir notre intérêt pour ce personnage, pas si simple que ça. Il en va de même pour son amitié avec Wesley (Toby Leonard Moore). On rompt ici avec les stéréotypes classiques du méchant : HALLELUJAH. Et, en plus, contrairement aux super-vilains des films du MCU, celui là reste crédible de A à Z, et on espère le revoir par la suite.

Vous allez me dire « Oui c'est bien beau tout ça, mais et le protagoniste qui donne son nom à la série, Sherlock??? », et je suis d'accord : il est temps d'y venir. Matt(hew) Murdock, fils de boxeur, devenu aveugle en recevant des produits chimiques dans les yeux alors qu'il empêchait quelqu'un de se faire renverser par une voiture, est campé par celui qui a maintenant envahi et séduit l'Internet, j'ai nommé Charlie Cox, qui va sûrement relancer le commerce des lunettes rondes. Durant cette première saison, on assiste aux débuts du héros masqué, mais on prend également le temps de poser ses questionnements et hésitations, son rapport avec la religion, sa position sur la justice et la loi, bref, tous les enjeux qui caractérisent le personnage. Bon point.

Ces questionnements seront remis en avant quand Foggy découvrira le secret de son ami : quel droit a t-il d'agir ? Le fait-il pour les bonnes raisons ? Finalement, tout ça permet une réflexion intéressant sur les héros en général. De plus, les flash-back sont très bien utilisés : ils permettent d'en savoir plus sur le passé du personnage sans nous inonder de détails inutiles, tout en servant les thématiques des différents épisodes. On pourrait simplement regretter le manque d’interactions du personnage avec les autres, mais après tout, un héros est solitaire, et puis la fin de saison compense largement les manques du début.

Marvel et Netflix ont finalement peut-être trouvé le format idéal adapté aux super-héros : ces treize épisodes d'une heure permettent de plus développer la psychologie et les motivations des personnages, ainsi que les enjeux, ce qui manque parfois aux films (oui, je te pointe du doigt, Age of Ultron). Bref, on prend son temps. Peut-être d'ailleurs un peu trop, en début de saison, où on pouvait avoir le sentiment d'avoir des scènes de remplissage sous les yeux. Jusqu'au sixième épisode. A partir de là, tous les arcs narratifs sont véritablement mis en place et les épisodes s'enchaînent, plus rythmés et prenants.

Mais peut-être que tout cela tient au héros complexe qu'est Daredevil. Toujours est-il que le scénario est bien ficelé et évolue bien : tout se tient et est bien interprêté. De plus, la série bénéficie d'une photographie qui exploite pleinement l'univers du héros : c'est très sombre, sans pour autant que cela nous paraisse exagéré (prends en de la graine, Gotham). Bravo Matthew J. Lloyd (dont vous avez pu déjà apprécier le travail sur la série Fargo). On peut également noter un traitement intéressant des sons, qui vient prolonger le point de vue du héros et participe à nous plonger encore plus dans son monde, son mode de fonctionnement etc.

Daredevil offre des scènes qu'on se rappellera (je ne me plaindrais plus jamais quand je me coincerais la main dans la portière de ma voiture), de scènes d'actions bien chorégraphiées et bien filmées, loin d'être indigestes comme c'est parfois le cas dans certains films (hello again, Age of Ultron). Seule petite ombre au tableau pour moi : le casque du costume de notre héros, aperçu en fin du dernier épisode. Mais c'est juste pour chipoter un peu.

En tout cas, espérons qu'ABC en tire des leçons, car même si j'adore Agents of SHIELD, il faut avouer que tout n'est pas parfait, et on porte beaucoup moins de soins à l'esthétique, ce qui est dommage, parce que côté intrigues et personnages, la série envoie du pâté. Finalement, peut-être que c'est l'autre collaboration entre Marvel et Netflix, Jessica Jones, qui pourra confirmer ou infirmer ce constat.

Bon, maintenant, c'est pour quand la saison 2 ?